Les transactions lors de ruptures du contrat de travail

 

            L’étude empirique des stratégies juridiques et contractuelles mobilisées par les directions du personnel lors de la rupture du contrat de travail révèle les enjeux complexes des usages du droit faits dans la relation salariale (RETTENBACH, 1979). Les recompositions internes à l’entreprise par le biais de restructurations, le recours au licenciement collectif comparé aux ruptures individuelles de contrat (ARDENTI, VRAIN, 1991 ; MALLET et alii, 1997), l’usage sectoriel du licenciement économique (BESSY,1987;1994), sont autant de cas où les directions du personnel utilisent une palette diversifiée de techniques juridiques pour rompre le contrat de travail : modes de rupture, motif de licenciement, indemnités allouées, dispositifs encadrant les plans sociaux, stratégies vis-à-vis des institutions judiciaires et administratives.  

            L’attention portée aux variables juridiques éclaire les rapports entre techniques collectives et techniques individualisées de gestion de la main d’œuvre. Une étude récente sur les mouvements de main-d’œuvre montre la part croissante des licenciements pour motif personnel face aux licenciements pour motif économique, et conduit à proposer une série d’hypothèses sur les négociations individuelles entourant la rupture du contrat de travail (PAGNANI, 2003) sans disposer toujours d’un matériau empirique pour l’analyse de ces pratiques. Nous présentons ici les résultats d’une enquête quantitative relative à une pratique contractuelle particulière, l’usage stratégique du contrat de transaction à l’occasion du licenciement (cf. encadré 1).

 

Encadré 1

Les conditions de collecte des données

Les données analysées dans ce document proviennent intégralement d’une enquête réalisée à partir de l’activité d’un cabinet d’avocats spécialisé en droit social. Le conseil y est essentiellement orienté vers la défense patronale.

Avec l’accord des membres du cabinet sur les modalités de l’enquête (traitement anonyme et statistique des transactions), la collecte des documents a été menée à bien en 2001, grâce à l’aide des responsables informatiques du cabinet, en définissant les mots-clés censés délimiter le corpus « transaction » sur l’ensemble de la base des archives. 

Dans ce cabinet en effet, l’archivage informatique – documents de travail (formation en interne, informations de veille juridique et jurisprudentielle) -, actes juridiques préparés ou achevés (contrats, transactions, conclusions…) – permet de mettre en œuvre une recherche systématique et exhaustive par catégories de dossiers, et de réaliser une collecte de séries de contrats.

L’échantillon de l’enquête

La recherche a abouti à un résultat d’environ 1 800 fichiers répondant aux mots clés, fichiers qu’il a fallu trier : des documents de nature diverse (conclusions aux prud’hommes, documents de travail…) peuvent contenir des occurrences pertinentes sans être des transactions.

Nous avons ensuite procédé à une copie anonymisée de l’ensemble des fichiers, avant de procéder à la constitution d’une base de données. Les documents finalisés d’une qualité acceptable dans la perspective d’une exploitation statistique des sommes (mention du montant des indemnités versées) ont été exclusivement retenus, et les autres écartés.

Le corpus final est constitué de la moitié des transactions sélectionnées (1 072)  en vertu des critères de qualité mentionnés, soit au total 536 documents. Le tirage a été fait de manière aléatoire sur les dossiers d’une année, de 1991 à 2001, afin d’obtenir un ensemble homogène sur la période.

 

La transaction, un des plus vieux contrats du droit civil, se définit comme une technique de règlement des litiges entre des parties contractantes (voir encadré 2). Parmi ses applications multiples, la transaction s’est installée dans le quotidien des services du personnel comme outil de gestion de la rupture du contrat de travail : les ouvrages de vulgarisation du conseil juridique à destination du grand public diffusent aujourd’hui des « modèles » de transaction, au même titre que des modèles de lettres de démission et de saisine des prud’hommes.

Cet objet juridique est entré récemment, et par des voies détournées, dans le débat public sous la forme de scandales attachés à certaines pratiques « occultes », concernant notamment les sommes considérables touchées par des dirigeants d’entreprise à l’occasion de leur départ. Les techniques juridiques sous-jacentes à ces affaires fortement médiatisées, qui vont des clauses contractuelles d’indemnisation spécifique en cas de départ (« les parachutes dorés ») aux négociations transactionnelles proprement dites, ne sont cependant que rarement identifiées. Une autre configuration d’usage des transactions, qui s’inscrit dans les techniques individuelles de réductions d’effectifs mobilisées par certaines directions d’entreprise, n’acquiert une visibilité que par le truchement indirect de questions médiatisées et « lisibles » comme la notion de harcèlement moral et les contentieux qui s’organisent autour de ce type de préjudice. La très grande hétérogénéité sociale des contextes d’usage évoqués (dans le premier cas, le monde feutré des conseils d’administration, dans le second, les pressions exercées individuellement sur une série de salariés fragilisés par une conjoncture économique difficile), ne contribue pas à faciliter le lien entre ces situations, qui ont pourtant en commun le recours à une même technique juridique.

 

Encadré 2

Le dispositif juridique du contrat de transaction

 

Au sein des dispositions du livre III du code civil, consacré aux principes généraux et aux différentes sortes de contrats, la transaction est définie par les articles 2044 et suivants.

«Article 2044. La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit. »

La transaction relève du droit général des contrats, et est utilisée dans les litiges civils (accidents de la route, par exemple) et administratifs. En droit du travail, l’usage de ce contrat s’est développé dans le cadre des litiges entre salarié et employeur à l’occasion du licenciement. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation a inséré ce contrat civiliste dans le dispositif des règles propres au droit du travail. Cette régulation jurisprudentielle de ces pratiques contractuelles s’est accomplie (et se poursuit) au moyen d’une abondante série d’arrêts (essentiellement depuis les vingt dernières années), suite à des contentieux prud’homaux portant sur la nullité de certains accords. Quelques thématiques principales de cette jurisprudence peuvent être résumées :

- les questions de validité : un accord transactionnel ne peut être confondu avec la rupture du contrat de travail, mais règle les conséquences de cette rupture. Par ailleurs, suivant une construction purement prétorienne, la validité de l’accord est conditionnée par l’existence de  « concessions réciproques ». Le canevas standard de ces contrats présente généralement une concession financière de l’employeur en échange d’un engagement du salarié à se désister de toute action en justice en cours ou future.

- les questions de délimitation : les stipulations du contrat de travail s’imposent, sauf mention contraire dans la transaction. En outre, une série d’arrêts traite des effets de l’accord contractuel vis-à-vis des tiers, comme les ASSEDIC et les URSSAF, en précisant les cas où les stipulations contractuelles s’imposent à ces tiers. La transaction participe donc d’un cadre économique qui dépasse les seules parties au contrat de travail.

 

La constitution d’un échantillon d’enquête suffisamment important pour permettre un traitement statistique des variables de la négociation impliquait de sélectionner une entrée pour la collecte de documents contractuels en série. La voie de la collecte directe d'accords auprès d'un échantillon d'entreprises a été écartée, en raison de difficultés pratiques et méthodologiques (nombre d'interlocuteurs à convaincre, construction d'un corpus cohérent), au profit d'une entrée unique : celle d’un grand cabinet spécialisé en droit social producteur annuel d’une quantité conséquente de transactions, autorisant ainsi une étude sur une coupe temporelle. Le choix d’un cabinet de défense patronale présentait un intérêt particulier, pour ce qui concerne notamment les routines d’écriture des transactions : les modèles de contrats, base de la négociation entre confrères, sont souvent élaborés par la partie patronale. Les résultats présentés ici n’ont par conséquent pour seule ambition que de rendre compte de ce point d’observation ciblé qu’est la production de contrats par un cabinet d’avocat.

Nous avons souligné la nécessaire articulation des niveaux contractuels et judiciaires des pratiques juridiques, articulation qui s’impose avec une acuité particulière dans le cas des règlements transactionnels. Au-delà d’une étude limitée aux seules transactions, cette étude compare un certain nombre de données collectées sur le contentieux du licenciement - enquêtes quantitatives sur les décisions des conseils de prud’hommes (SERVERIN, 2002) avec celle de l’enquête présente. Le fait même que cette comparaison soit possible s’explique par l’homogénéité des structures de litiges entre règlements judiciaires et transactionnels des litiges. La transaction apparaît comme un arrangement contractuel qui s’opère, pour reprendre une étude célèbre en sociologie du droit (MNOOKIN, KORNHAUSER, 1979), à l’ombre du procès, et dont les mécanismes de négociation ne peuvent se comprendre en dehors de ce référent judiciaire.

Des produits juridiques « modulables »

Pour ce qui est de leur rédaction concrète, les transactions comportent généralement deux parties, la première consacrée à relater les données du litige (qui indiquent de précieuses informations sur l’itinéraire du salarié dans l’entreprise), la seconde établissant les termes de la convention. C’est donc tout un champ de variables juridiques (qualification des fautes et des motifs, modalités du contrat) et économiques (sommes négociées) qui est ainsi concerné par ces pratiques. La transaction intervient entre les parties au contrat de travail et l’exposé du litige revient toujours à établir un bilan de la relation contractuelle : les modalités du contrat de travail sont donc au cœur de la négociation transactionnelle. Un des intérêts d’une étude des transactions réside par conséquent dans la définition du litige en référence au contrat de travail, et les différentes informations qu’on peut en tirer.

Les dossiers que nous avons consultés participent d’une configuration de négociation particulière, celle qui fait intervenir les conseils prestataires de service pour des « joueurs récurrents » que sont les directions d’entreprise. Un exemple de ce type de construction réalisée par les avocats nous est fourni par les changements induits suite au revirement de jurisprudence de la Cour de cassation en 1996, par lequel la chambre sociale a exigé que les transactions soient signées après la notification du licenciement. Par le biais de techniques diverses (simple andi-date ou constructions plus complexes), les avocats conseils ont alors tenté de concilier le cadre de référence défini par les juges avec le cahier des charges posé par leurs clients (les employeurs), lesquels souhaitaient continuer de négocier en amont du licenciement. Ce travail de conseil de l’avocat participe de ce que nous appelons l’espace de négociation des accords, lequel est constitué des divers éléments que nous avons évoqués : des montages juridiques (il s’agit de constructions qui s’ajustent aux interprétations de la règle de droit, validées par les juges, pour les adapter aux besoins des usagers du droit) ; des calendriers (qui inscrivent la négociation dans une trame temporelle en distinguant des séquences d’action à accomplir) ; enfin, la combinaison de ces deux éléments au travers de scénarios (qui sont des montages intégrant des calendriers).

Les scénarios sont des structures narratives qui servent de base à la rédaction du récit qu’est la transaction : ils permettent la reformulation de procédures, comme la procédure de licenciement, sous la forme d’une narration à la fois crédible pour les tiers (le juge, l’administration, les tiers), et conforme aux intérêts des usagers du contrat (sachant que les asymétries économiques sont bien entendu susceptibles d'aboutir à un résultat favorable à la partie en position de force). Cette lecture de la négociation transactionnelle, qui renvoie à une conception de la règle de droit comme modèle développée par Antoine Jeammaud (JEAMMAUD, 1993), permet d’échapper à la vision simplificatrice de l’ineffectivité des règles, dont le symptôme serait l’existence de pratiques déviantes. En effet, dans le cas des transactions, l’existence de montages ajustés aux règles jurisprudentielles ne signifie pas que ces dernières sont ineffectives, dans la mesure où, d’une part, elles contraignent précisément les avocats à recourir à des montages, et d’autre part, elles écartent toute assimilation de la transaction à une rupture amiable, en la limitant à l’espace de l’après-licenciement.

L’alternance entre contrat et procès au cœur de la négociation

            Les observations réalisées sur cet échantillon de contrats ne prennent véritablement leur sens qu’en relation à l’espace des possibles par rapport auquel le recours à la transaction se situe, ce que l’on peut appeler son « environnement institutionnel » : la consultation juridique et le procès.

Un recours sélectif à la « boîte à outils » juridique des DRH

À cet égard, l’institution judiciaire est à la fois l’environnement, mais bien plus encore la donnée intégrée, le référent explicite ou implicite permanent des contrats. Une transaction sur cinq, parmi les dossiers consultés, est conclue alors qu’une instance a déjà été introduite par le salarié. Lorsque les négociations se déroulent hors de tout contentieux, près de la moitié des transactions (45%) font mention de l’intention du salarié de saisir les tribunaux. S’il ne s’agit souvent que d’une clause de style des avocats  contribuant à asseoir la « réalité » d’un litige, il n’en demeure pas moins que l’horizon du procès est partie intégrante de la négociation transactionnelle.

Ce que nous apprenons sur les salariés ayant conclu une transaction nous informe aussi sur le profil des salariés qui n’ont pas conclu d’accord : ceux qui n’ont pas voulu transiger, ceux surtout avec lesquels l’employeur n’a pas jugé utile de conduire une négociation, et préféré courir le risque d’un procès. Le cadre institutionnel de négociation propre aux accords transactionnels nous amène ainsi à poser et tester l’hypothèse du caractère discriminant de la variable du « rapport au procès » quant à la distribution des dossiers suivant les populations de salariés. Le contexte de la négociation, suivant qu’il se situe dans un cadre contentieux ou pré-contentieux, doit expliquer dans une certaine mesure les caractéristiques des salariés concernés par les accords. En procédant à un tri croisé des catégories professionnelles représentées dans les transactions suivant le cadre contentieux de la négociation, nous obtenons en effet les résultats, représentés ci-dessous, qui valident l’hypothèse énoncée.

Tableau 1. Répartition (en %) des catégories professionnelles

suivant le contexte judiciaire de la transaction.

Cadres
Intermédiaires
Employés
Ouvriers
Ensemble
 

14,8

22,1

23,6

39,5

100

 

52,5

23,4

15

9,1

100

dossiers avec procès engagé

30,3

29,3

19,2

21,2

100

 

Si nous comparons la distribution des catégories professionnelles dans les transactions de l’enquête, avec celle de la population active (DARES, 2001), c’est au niveau des « extrémités » de l’échelle sociale que l’on note un net déséquilibre entre les populations comparées. Les cadres sont largement sur-représentés, les catégories en bas de la hiérarchie, notamment les ouvriers, sont clairement sous-représentés, tandis que les catégories intermédiaires suivent une répartition homogène dans tous les cas. Or, lorsque nous introduisons comme variable l’existence d’un procès durant la négociation, ce sont précisément ces mêmes catégories professionnelles (cadres et ouvriers), qui connaissent à nouveau les variations les plus grandes. La proportion de cadres perd plus 20% par rapport à l’ensemble des dossiers consultés, celle d’ouvriers en gagne plus de 10%.

Il apparaît donc que la situation d’action qui influe sur l’employeur dans la décision de négociation qu’il prend à l’égard de telle ou telle catégorie de salarié (et plus précisément ici, dans la transmission d’un dossier à un conseil juridique externe), s’explique largement par le contexte judiciaire du litige. La proportion beaucoup plus faible de cadres dans les dossiers en contexte judiciaire traduit sans doute de la part des directions d’entreprise un souci d’anticipation du traitement des litiges à l’égard de ces salariés parfois haut placés dans la hiérarchie, et qui disposent par ailleurs, en raison du risque économique qu’ils représentent en termes de coûts de procès, d’un rapport de forces favorable à la négociation. A l’inverse, les salariés du bas de l’échelle hiérarchique, peu représentés, apparaissent très souvent dans les dossiers à l’occasion de conflits ouverts que l’avocat de l’employeur a la tâche de solder par un accord. La menace d’un procès émanant de cette catégorie de personnel n’a pas conduit l’employeur à anticiper un règlement du litige : bien au contraire la négociation n’intervient que de manière réactive pour régler après coup un contentieux qui risque de s’installer dans la durée. Lorsque des salariés non cadres apparaissent dans les dossiers d’avocats consultés, c’est que très souvent l’employeur a dû recourir aux services de son avocat en raison d’une procédure judiciaire. Cela peut signifier que beaucoup d’employeurs ne jugent pas utile d’accomplir cette démarche (contacter leur avocat) pour négocier avec un salarié non cadre si l’existence d’un procès ne l’exige pas au préalable.

Si la plupart des transactions de l’échantillon visant des cadres se font « hors contexte contentieux », et si, inversement, dans le cas des ouvriers, elles ont lieu après l’introduction d’une instance, c’est la traduction d’une certaine politique de gestion des litiges par les employeurs, d’une part, et d’un certain comportement des salariés, d’autre part, dont la distribution de cet échantillon est l’image. Nous ne disposons d’aucune indication concernant les catégories de salariés concernées dans le cas des accords rédigés « en interne » dans les entreprises, sans recours à un avocat. Il est tout à fait possible que la part des salariés non-cadres y soit plus importante. Il convient donc de souligner la spécificité de la population de salariés concernée par l’enquête : ceux dont les dossiers sont orientés par l’employeur vers un conseil juridique extérieur à l’entreprise.

Les actions en justice des salariés cadres représentent pour l’employeur un risque financier élevé proportionnel au niveau de leur rémunération. Par ailleurs, les responsabilités qu’ils détiennent et les informations au sujet de l’activité de l’entreprise qu’ils sont susceptibles de transmettre sont des éléments propres à inciter l’employeur à négocier. Dans une certaine mesure, les résultats observés sur ce panel peuvent tout à fait s’interpréter comme l’image d’une division juridique du travail mise en place par les employeurs. Le risque d’un procès est plus fréquemment toléré pour un salarié non cadre : sa force de dissuasion économique étant plus faible, l’institution judiciaire joue alors son rôle habituel. Au contraire l’employeur peut consentir à investir dans le conseil juridique pour des salariés « à risque judiciaire élevé ».

Un outil spécifique de gestion du licenciement

 D’autres éléments relatifs à la demande en conseil juridique caractérisent le contexte de production des accords étudié ici. Les salariés cadres relèvent en effet d’une catégorie pour laquelle il est moins évident d’appliquer des «trames » de transaction conçues en routine dans les entreprises : il est alors sans doute préférable d’externaliser la gestion du litige au niveau d’un cabinet de conseil. En outre, le contexte de négociation dans lequel interviennent des professionnels du droit résulte probablement tout autant d’une gestion ciblée des litiges par les directions d’entreprise, que du comportement propre à certaines catégories de salariés vis-à-vis des consultations juridiques. Des entretiens réalisés avec des conseils de salariés soulignent l’importance du recours à l’avocat chez les cadres, beaucoup plus que chez les autres salariés. Or, le recours à un professionnel par le salarié amène souvent l’employeur à contacter de même son avocat, et à installer le processus de discussion dans le cadre d’une négociation entre confrères.

L’existence d’un procès durant la négociation constitue une variable explicative transversale qui permet de rendre lisible toute une série de caractères propres à la négociation transactionnelle. En tant qu’elles sont mobilisées en routine par les employeurs comme technique de gestion du licenciement, les transactions nous offrent un objet d’étude particulièrement précieux pour l’étude des régularités qui peuvent s’attacher aux motifs de licenciement. Les résultats qui ressortent de ce tri croisé (représentés dans le graphique 1 ci-dessous) montrent que la variable du procès trace une ligne de partage entre les  différents motifs, décidés par les employeurs ou « négociés » entre les parties. Il est possible d’établir une sorte d’échelle de « gravité » des motifs, proportionnelle à l’existence d’un contentieux. Ainsi, l’existence d’une action engagée par le salarié est la plus fréquente en cas de faute grave (31% contre 20% en moyenne), ou encore de refus de modification du contrat de travail, et la moins fréquente en cas de licenciement pour « mésentente » (6%).

Ces différents résultats recoupent ceux obtenus concernant les catégories professionnelles : la distribution qui s’opère selon l’existence du procès et suivant les motifs de licenciement n’est en effet que la conséquence du tri opéré, en fonction des situations de procès (procès latents ou procès ouverts), sur les catégories de salariés. En effet, le nombre important de fautes graves constatées dans les dossiers « avec » procès s’explique en partie par la proportion élevée d’ouvriers qui y figurent. De même, c’est parce que les dossiers « anticipés », réglés avant tout procès ouvert, concernent surtout des cadres, que des motifs tels que la « mésentente » sont les plus fréquents dans cette configuration. Les ouvriers sont nettement plus concernés par des licenciements pour faute grave que la moyenne (57% des ouvriers contre 27% de l’ensemble des salariés). Si le motif de faute grave est souvent attaché aux dossiers concernant les ouvriers, cela peut vraisemblablement s’expliquer précisément par la position contentieuse des transactions conclues avec cette catégorie de salariés.

Il ne s’agit pas de soutenir l’hypothèse selon laquelle le motif de faute grave serait « substantiellement » attachée à la catégorie des ouvriers. Une telle hypothèse ne pourrait être soutenue qu’en disposant de données sur les motifs de licenciements collectées directement auprès d’un échantillon d’employeurs ou de salariés. En revanche, l’existence de la faute grave est un élément d’explication de la présence de dossiers concernant des ouvriers dans notre échantillon : lorsqu’un employeur confie à un avocat du cabinet étudié la gestion d’une transaction visant un ouvrier, c’est fréquemment que le litige, à l’inverse de ce qui se passe pour les cadres, s’est développé dans un cadre contentieux. Or, les litiges réglés par transaction dans un cadre contentieux sont généralement le fait d’ouvriers incités à agir en justice par l’absence d’indemnités, conséquence de la faute grave. A l’inverse les cadres sont les plus nombreux en moyenne à être licenciés pour motif de « mésentente » (32% contre 19% en moyenne). Si l’on peut invoquer le fait que le motif de « mésentente » apparaît plus approprié par la proximité hiérarchique et sociale qui existe entre certains cadres supérieurs et la direction (des arrangements « entre pairs »), nous nous contentons ici de mettre en évidence des causalités internes liés à la gestion des litiges, à l’articulation entre contrat et procès : nous constatons ainsi que si le motif de mésentente concerne avant tout les cadres, c’est que les litiges les concernant sont réglés dans un cadre contractuel exclusif, en dehors de tout contentieux.

Graphique 1.

Motifs de licenciement dans les transactions suivant l’existence d’un procès engagé.

À cet égard, tout ce qui relève de la « menace » de procès (la mention dans l’exposé des faits de la simple intention du salarié d’engager une action) participe souvent, comme nous l’avons évoqué plus haut, de simples routines de rédaction des avocats. Si tant est qu’il ne s’agisse que d’une clause de style, on remarquera que cette mention est particulièrement présente dans des situations où le litige est difficile à caractériser par sa nature assez vague (dans les cas de licenciements en raison d’une « mésentente », les transactions sont ainsi 53% à comporter cette mention contre 36% en moyenne), comme si l’indication d’un risque de procès s’ajoutait opportunément à des éléments objectifs difficiles à réunir pour caractériser un litige.

Ces résultats suscitent des hypothèses spontanées : les salariés aux revenus modestes et de surcroît privés d’indemnités ne sont-ils pas les candidats naturels à un procès, n’ayant « rien à perdre » ? Mais une telle formulation ne rend pas compte du cadre d’observation dont nous nous occupons, à savoir : des dossiers confiés à des avocats à la suite d’une sélection opérée par les employeurs clients (et dans une certaine mesure, par les salariés qui choisissent de s’entourer d’un avocat). Dans la mesure où les données que nous utilisons ne portent pas sur l’ensemble des transactions traitées dans une série d’entreprises, mais sur celles qui passent entre les mains d’un cabinet d’avocat particulier, il serait sans doute plus adéquat d’observer simplement que, dans le cas des salariés de rang modeste, la saisine du tribunal apparaît comme un préalable nécessaire à l’ouverture d’une négociation entre avocats.

Afin de mieux cerner l’impact de cette variable discriminante dans la gestion des litiges que constitue l’existence d’un procès durant la négociation, nous nous proposons de reprendre l’hypothèse formulée sous la forme d’un modèle de régression logistique, synthétisé dans le tableau ci-dessous. La variable explicative adoptée est précisément l’existence d’une action en justice engagée par le salarié, et la population de référence retenue pour le test de probabilité est celle des cadres licenciés pour « mésentente », c’est-à-dire une population, suivant notre hypothèse, peu susceptible d’être concernée par des transactions en contexte judiciaire (cf. tableau 2).

Pour des raisons exactement opposées, le test est donc très significatif dans le cas de la population de référence et lorsqu’il s’applique à la catégorie professionnelle des ouvriers. Le modèle retenant comme population de référence « les cadres licenciés pour mésentente » est significativement dépendant de la variable « existence d’un procès ». Il y a également dépendance vis-à-vis de cette variable, lorsque, toutes choses égales par ailleurs, on remplace la population « cadres » par la population « ouvriers ». Le caractère discriminant de la variable du procès expliquant la répartition des catégories de salariés dans les dossiers se trouve confirmé. L’analyse des rapports de chance permet de préciser l’analyse : toutes choses égales par ailleurs, un ouvrier a quatre fois plus de chances d’être concerné par une transaction « avec procès » que la population de référence. Les motifs de licenciement sont également marqués par des rapports de chances qui soulignent que la probabilité du procès augmente lorsqu’il s’agit de motifs plus « conflictuels » que la mésentente (faute grave, insuffisance professionnelle, refus de modification) et a contrario un rapport de chance assez faible pour le motif économique.

Tableau 2. Influence de l’existence d’un procès sur la distribution des populations de salariés.

                                

 

Coefficients

Rapport de chances

(odds ratio)

Niveau de significativitéµ

 

***

Catégorie professionnelle

     

Cadres et dirigeants

Réf.

Réf.

Réf.

Intermédiaires

0.8136

2,256

**

Employés

0.6963

2,006

*

Ouvriers

1.5596

4,757

***

   

Licenciement

Réf.

Réf.

Réf.

Rupture anticipée de CDD

2.0485

7,756

**

Démission

-1.2340

0,291

N

   

Mésentente

Réf.

Réf.

Réf.

Faute grave

1.2281

3,415

**

Économique

0.4664

1,594

N

Insuffisance professionnelle

1.2608

3,528

**

Refus de modification du contrat de travail

1.5238

4,590

**

 

µ La significativité du test probabiliste se représente graphiquement suivant la convention suivante :

 *** : très significatif (Pr<0.0001), ** : significatif (0.05<Pr<0.001), * : moyennement significatif (0.1<Pr<0.05),

N : coefficient presque nul.

La transaction comme négociation économique 

            Les éléments précédents procèdent exclusivement de la partie « exposé des faits » de la transaction, et montrent que des données qui de prime abord semblent décrire un état du monde objectif (l’existence de modification du contrat, le motif du licenciement, bref les données du litige) relèvent en fait d’une construction négociée des éléments du litige. Elles constituent pour nous des variables à part entière de la négociation. Il ne faut cependant pas perdre de vue la finalité de la négociation, qui est avant tout économique : négocier les termes financiers de la liquidation de la créance salariale à l’occasion de la rupture du contrat de travail. Les analyses que nous proposons à partir des sommes négociées de l’échantillon sélectionné visent à comparer systématiquement ces versements avec les données disponibles concernant les indemnités ordonnées par les conseils de prud’hommes dans des cas analogues à ceux des transactions. Dans cette perspective, on peut tenter de situer la logique économique du recours à la transaction par rapport au règlement judiciaire des litiges.

            Afin de saisir le mécanisme de l’allocation des sommes propre à la négociation transactionnelle, il convient de la rapprocher du solde de tout compte : celui-ci, qui ne prévoit pas de cadre de négociation, fait état des différentes sommes dont l’employeur est débiteur suite à la rupture du contrat de travail, dont l’indemnité de licenciement. La spécificité de la transaction réside dans les dommages-intérêts dont la détermination par rapport aux données du litige est la visée principale de l’exposé des faits. La logique juridique de la transaction consiste à qualifier ces sommes versées à titre de dommages-intérêts de concessions de l’employeur, dans le cadre de la règle définie par la jurisprudence des concessions réciproques. L’employeur ne reconnaît pas que la motivation de sa décision est sans cause réelle et sérieuse, mais accepte de verser des sommes pour clore le différend. Cependant, le paradoxe est que ces sommes sont bien qualifiées de dommages-intérêts, soit des indemnités en dédommagement d’un préjudice. La solution la plus courante, lorsqu’elle est explicite, consiste à souligner que les dommages-intérêts versés le sont au titre d’un préjudice distinct de celui lié au licenciement lui-même, et que ce préjudice réparé concerne les conditions ou les conséquences de la rupture (la difficulté pour le salarié à retrouver un emploi, les conséquences d’une rupture vexatoire sur son image dans la profession et son entourage …).

La complexité et les paradoxes de cette logique de qualification juridique des sommes apparaissent souvent dans l’exposé même des griefs du salarié, lorsqu’il est rédigé en vue de coller à l’interprétation sus-visée. L’exposé est fréquemment rédigé de manière à ne pas lier uniquement le préjudice à la motivation du licenciement, mais à le justifier par les conditions et les conséquences de ce licenciement (conditions vexatoires, conséquences pour la situation personnelle du salarié). Dans le même temps, le salarié mentionne son intention de saisir les tribunaux en réparation d’un préjudice qui ne peut être autre, selon la procédure, que le licenciement sans cause réelle et sérieuse. La consultation de séries de transactions montre par ailleurs que, si les contrats renvoient par des clauses de style au principe de réciprocité des concessions, sur le plan économique, la concession que l’on attend sous forme d’allocation de sommes est toujours celle de la partie économiquement forte : l’employeur. Une simple formule standard se contente de rappeler qu’à tire de concession, le salarié renonce à toute action liée au litige défini (renonciation qui d’ailleurs est faite aussi par l’employeur).

            Si l’on brosse les traits principaux des sommes versées dans les transactions du panel, il convient de souligner pour les raisons mentionnées les caractéristiques des sommes versées à titre de dommages-intérêts dans les cas (minoritaires) où elles sont distinguées de l’indemnité de licenciement. Le niveau de ces montants est remarquable : pour plus de 40%, ils sont supérieurs ou égaux à douze mois de salaire. En montants bruts, 29% des sommes versées à titre de dommages-intérêts sont supérieures à 15 000 euros. Le cadre de négociation de ces transactions (recours à un conseil juridique, nombre important de salariés cadres) est donc souvent caractérisé par un enjeu financier très élevé.

            Plus remarquables encore sont les données concernant les populations non-cadres, résultats obtenus sur la base d’une comparaison réalisée entre le montant total des sommes versées par les Prud’hommes, section industrie (donc des salariés non-cadres) et le montant total des sommes versées dans les transactions dont les salariés relèvent potentiellement de cette section. Le graphique n°2 montre que dans ce cas également les transactions prennent en quelque sorte le relais du tribunal lorsqu’il s’agit de négocier des sommes particulièrement importantes. Au-delà du seuil de 9 000 euros, les juges n’attribuent que rarement de telles sommes aux salariés (sommes supérieures ou égales à ce seuil dans seulement 13% des affaires), alors que les versements transactionnels supérieurs ou égaux à ce montant représentent la moitié (49%) des cas de l’échantillon. Les données de cette enquête suggèrent une sorte de division du travail entre les « petites affaires » traitées par les prud’hommes et les cas plus délicats, dans lesquels le salarié peut avoir intérêt à transiger, les juges dépassant rarement certains montants. Rien n’indique cependant que la situation soit semblable dans le cas de transactions gérées en routine et en interne dans les entreprises, qui se distinguent sans doute des cas épineux traités par les avocats.

Ces derniers résultats vont à l’encontre de l’idée reçue suivant laquelle les salariés toucheraient toujours des montants plus faibles dans le cadre d’une transaction en échange de la perception immédiate des sommes. Manifestement, cette idée n’est pas applicable en général à n’importe quel contexte de négociation. Si des situations propres à la proximité sociale entre des cadres supérieurs et des employeurs peuvent expliquer le niveau très élevé de certains montants négociés (statut hiérarchique exceptionnel des cadres dirigeants, montages de litiges pour justifier l’attribution de gratifications défiscalisées), ces données, qui s’appliquent à toutes les catégories de salariés, demeurent frappantes : elles caractérisent sans doute l’espace de négociation propre aux accords encadrés par des avocats.

Graphique 2 : Montant total obtenu

entre la section industrie aux Prud’hommes et les transactions

en relevant potentiellement

(répartition par tranche de montant en %)

                                   

Pour que cette étude des montants négociés soit complète, il semble nécessaire de revenir à l’examen de la variable structurante pour la compréhension du mécanisme de la négociation transactionnelle : peut-on mesurer un impact du « rapport au procès » sur la négociation des montants versés au salarié ? Nous avons distingué, dans le graphique suivant, trois types d’échantillons : les transactions où il est simplement fait mention d’une menace de procès (« action envisagée »), celles où l’accord est intervenu à la suite d’une action effectivement engagée (« action engagée »), enfin l’ensemble des transactions, y compris celles où il n’est même pas fait mention de l’intention du salarié de faire un procès.

Les montants très faibles (moins de trois mois de salaires) sont plus fréquents quand un procès a été engagé (38%) que lorsque la négociation a eu lieu en dehors de toute menace de procès (24%). Ce n’est pas le cas des montants très élevés (plus de deux ans de salaire), qui sont beaucoup moins nombreux dans le cadre d’une transaction en cours d’instance (16%) que lorsqu’il n’est fait mention d’aucun contexte judiciaire (25%). Ces configurations s’expliquent sans doute par les corrélations observées entre les catégories extrêmes de l’échelle sociale (cadres supérieurs et ouvriers) et l’existence d’un procès. Les montants les plus élevés correspondent sans doute à des transactions de cadres supérieurs, transactions « préventives » négociées en dehors du cadre contentieux. A l’inverse, les montants les plus bas concernent les ouvriers, qui sont le plus fréquemment concernés dans notre échantillon par les transactions en cours d’instance. 

Cependant, en dehors de ces cas extrêmes, la situation de la négociation par rapport au procès n’influe que modestement sur les montants intermédiaires. On peut y voir un signe que les mécanismes d’allocation des sommes (pour ne pas dire les « barèmes » implicites) des avocats restent en gros inchangés quelle que soit la situation « contentieuse » de la négociation. Dans une certaine mesure, on peut faire l’hypothèse que cette absence relative de corrélation traduit une stabilité des critères d’allocation des sommes qui peut s’expliquer à la fois par les routines de négociation, mais aussi par une intégration dans les contrats des références au schéma de la décision judiciaire. La perspective d’un jugement ne modifie pas fondamentalement les critères de la négociation, dans la mesure où les paramètres du jugement (la probabilité que les juges attribuent telle somme dans tel cas, c’est-à-dire le risque judiciaire pour l’employeur) ont été intégrés en amont par les avocats dans leur pratique de négociateur.

Graphique 3. Montant total obtenu suivant l’introduction d’une instance

(en % par tranche exprimée en mois de salaire)

***

Les pratiques de négociation ne sont jamais observables dans l’absolu : l’analyse quantitative ne peut partir que d’un contexte précis qui saisit la situation de litige à un moment déterminé de son histoire, au cours de laquelle toute une série d’actions et de comportements ont contribué à dessiner un profil particulier de la « population-cible » des accords. Or, les transactions conclues par l’intermédiaire d’un avocat correspondent à des litiges qui ont une histoire parfois longue, rythmée par des comportements et des choix qui sont autant de filtres successifs de la population finale : les conditions dans lesquelles le licenciement a été prononcé, le fait que l’employeur ou les services du personnel ait à un moment pris la décision, en vertu de certains critères, de confier le dossier à un avocat, le fait qu’un salarié ait eu recours à une consultation juridique, qu’il ait saisi le tribunal … Ces différents éléments sont constitutifs de l’espace de négociation observé (celui des accords avec intervention d’avocats), et expliquent dans une certaine mesure le profil de la population de salariés visée par les accords consultés. Toute analyse qui tendrait à rendre compte des arbitrages réalisés par les protagonistes en fonction de calculs de risques, sans prendre en considération le parcours et les filtres qui ont abouti à la situation de négociation donnée, se heurterait à des incohérences de l’explication. On pourrait citer d’autres situations où la collecte de séries de transactions dans la perspective d’une analyse quantitative mettrait sans doute en évidence des situations de négociation spécifiques : il s’agit des compressions d’effectifs menées de manière occulte au moyen d’une gestion planifiée et en série des accords transactionnels individuels, sur lesquelles nous ne disposons pas de données quantitatives.

Ces différents dispositifs de négociation résultant des stratégies de gestion du personnel et de l’usage ciblé des règles de droit, font qu’il n’est pas non plus possible de concevoir le recours au règlement transactionnel comme le résultat d’un simple calcul financier que feraient des individus isolés comparant les avantages respectifs de la négociation et du procès. Les variables liées à la configuration du litige et à l’espace de négociation introduisent d’autres éléments à prendre en considération. D’autre part, les négociations transactionnelles n’apparaissent nullement comme l’opposé du règlement judiciaire d’un litige, puisque le référent du procès reste présent au cœur de la négociation à titre de simple menace, d’instrument pour ouvrir une discussion, ou encore comme base pour déterminer les sommes attribués par l’employeur.

La présence de ce référent pour la négociation s’exprime avant tout dans la détermination des dommages-intérêts versés dans le cadre des transactions et dont le montant est discuté en s’appuyant sur les indemnités judiciaires allouées en cas d’absence de cause réelle et sérieuse du licenciement. C’est le caractère central de ce référent judiciaire qui explique la fonction stratégique que revêt le licenciement, et plus précisément la motivation du licenciement, pour garantir l’équilibre de la négociation transactionnelle. Le fait que des montages juridiques plus ou moins complexes aboutissent à passer par la voie du licenciement là ou d’autres modes de rupture du contrat de travail sont possibles (démission, rupture d’un commun accord), ne signifient pas, bien au contraire, que la fonction du droit du licenciement soit vidée de son contenu. A cet égard, les expressions de « faux licenciement », ou de « licenciement de complaisance » peuvent prêter à confusion. L’articulation du contrat et du procès au cœur de la négociation apparaît ainsi, au vu de ces données produites à partir d’un corpus de contrats, s’appuyer de façon centrale sur les règles du licenciement. De ce fait, l’évolution du droit en la matière pourrait transformer en profondeur les conditions de ces négociations dans les relations individuelles du travail. Des changements juridiques modifiant la position stratégique du licenciement comme mode de rupture privilégié dans les pratiques de négociation, au profit d’autres techniques (rupture d’un commun accord sans motivation nécessaire), priveraient sans doute les salariés d’une base de négociation, et les contrats de transactions, d’une grande partie de l’intérêt qui a fait leur succès.


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